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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


« mouvement, on ne saura même pas qu’ils existent, et la plus grande question qu’ils pourront agiter dans les jours où ils raisonneront sera celle-ci : S’amuse-t-on autant sous le gouvernement républicain que sous l’ancien régime ? » — Peut-être ils espèrent, à force de neutralité inoffensive, se mettre à l’abri : comment supposer que le vainqueur, quel qu’il soit, veuille traiter en ennemis des gens résignés d’avance à son règne ? « Un petit-maître[1] disait hier matin à côté de moi : Pour moi, on ne me désarmera pas, car je n’ai jamais eu d’armes. — Hélas ! lui dis-je, ne vous en vantez pas ; car vous trouveriez à Paris quarante mille j… f… qui vous en diraient autant, et, vraiment, ce n’est pas propre à faire honneur à la ville de Paris. » — Tel est l’aveuglement ou l’égoïsme du citadin qui, ayant toujours vécu sous une bonne police, ne veut pas changer ses habitudes et ne comprend pas que, pour lui, le temps est venu d’être gendarme à son tour.

Au-dessous du rentier, l’industriel, le négociant, le boutiquier est encore moins disposé à quitter ses affaires privées pour les affaires, publiques ; car les affaires privées n’attendent pas, et il a son bureau, son magasin, son comptoir, qui le retiennent. Par exemple, « les marchands de vin[2] sont presque tous aristocrates dans le

  1. Schmidt, II, 5 (Dutard, 5 juin).
  2. Ib., II, 19 (Dutard, 11 juin). — Ib., II, 70 (Dutard, 18 juin) : « Je voudrais, s’il était possible, pouvoir visiter avec vous les 3000 ou 4000 marchands de vin et autant de limonadiers qui sont à peu près à Paris ; vous y trouveriez fort occupés les 15 000 commis qu’ils ont chez eux. — Que si nous allions de