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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


de la souveraineté du peuple soit employé pour couvrir les attentats contre la souveraineté du peuple, que, sous prétexte de sauver l’État, le premier venu puisse tuer qui bon lui semble, que, sous couleur de résister à l’oppression, tout attroupement soit en droit de renverser tout gouvernement. — C’est pourquoi il faut pacifier ce droit militant, l’enfermer dans des formes légales, l’assujettir à une procédure fixe[1]. Si quelque particulier souhaite une loi, réforme ou mesure publique, qu’il le dise dans un papier signé de lui et de cinquante autres citoyens de la même assemblée primaire ; alors sa proposition sera soumise à son assemblée primaire ; puis, en cas de majorité, aux assemblées primaires de son arrondissement ; puis, en cas de majorité, aux assemblées primaires de son département ; puis, en cas de majorité, au corps législatif ; puis, en cas de rejet, à toutes les assemblées primaires de l’empire, tellement qu’après un second verdict des mêmes assemblées une seconde fois consultées, le corps législatif, s’inclinant devant la majorité des suffrages primaires, devra se dissoudre et laisser la place à un corps législatif nouveau d’où tous ses membres seront exclus. — Voilà le dernier mot et le chef-d’œuvre de la théorie ; Condorcet, le savant constructeur, s’est surpassé ; impossible de dessiner, sur le papier, une mécanique plus ingénieuse et

  1. Buchez et Roux, XXIV, 109. Projet de Constitution présenté par Condorcet. Déclaration des Droits, article 32 : « Dans tout gouvernement libre, le mode de résistance à ces différents actes d’oppression doit être réglé par une loi. » — Ib., 136. Titre VIII de la Constitution, De la censure des lois.