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LA RÉVOLUTION


cyclopédie ou du Contrat social, comme jadis les puritains de la Bible[1]. À l’âge où l’esprit, devenant adulte, s’éprend d’amour pour les idées générales[2], ils ont épousé la théorie et voulu rebâtir la société sur des principes abstraits. À cet effet, ils ont procédé en purs logiciens, avec toute la rigueur superficielle et fausse de l’analyse en vogue : ils se sont représenté l’homme en général, le même en tout temps et en tout pays, un extrait et un minimum de l’homme ; ils ont considéré plusieurs milliers ou millions de ces êtres réduits, érigé en droits primordiaux leurs volontés imaginaires et rédigé d’avance le contrat chimérique de leur association impossible. Plus de privilèges, plus d’hérédité, plus de cens, tous électeurs, tous éligibles, tous membres égaux du souverain ; tous les pouvoirs à court terme et conférés par l’élection ; une assemblée unique, élue et renouvelée en entier tous les ans, un conseil exécutif élu et renouvelé par moitié tous les ans, une trésorerie nationale élue et renouvelée par tiers tous les ans ; des administrations locales élues, des tribunaux élus ; référendum au peuple, initiative du corps électoral, appel incessant au souverain qui,

  1. Archives nationales, AF, H, 45. Lettre de Thomas Payne à Bouton, 6 mai 1792 (en anglais) : « Je ne connais pas d’hommes meilleurs ni de meilleurs patriotes. » — Cette lettre, comparée aux discours ou aux écrits du temps, fait le plus étrange effet par son bon sens pratique. L’Anglais-Américain, si radical qu’il soit, ne s’appuie, dans ses raisonnements politiques, que sur les exemples et l’expérience.
  2. Cf. les Mémoires de Buzot, de Barbaroux, de Louvet, de Mme Roland, etc.