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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


« galeries de l’Assemblée nationale et au club des Jacobins ». Or, aux galeries sont les clabaudeurs payés, surtout des femmes qui sont plus bruyantes et qu’on peut avoir à meilleur marché » ; au club des Jacobins sont « les meneurs qui craignent un revirement ou qui ont des animosités à satisfaire[1] » : ainsi les seuls enragés sont les meneurs et la populace des faubourgs. — Perdus dans cette immense cité, en face d’une garde nationale encore armée et trois fois plus nombreuse qu’eux, devant une bourgeoisie indifférente ou mécontente, les patriotes s’effrayent. En cet état d’angoisse, l’imagination fiévreuse, exaspérée par l’attente, enfante involontairement des rêves qu’elle adopte passionnément comme des vérités, et maintenant il suffit d’un incident pour achever la légende dont la germe a grandi chez eux, à leur insu.

Le 1er  septembre, un charretier, Jean Julien[2], condamné à douze ans de fers, a été exposé au carcan, et, au bout de deux heures, il est devenu furieux, probablement sous les quolibets des assistants. Avec la grossièreté ordinaire aux gens de son espèce, il a déchargé en injures sa rage impuissante, il s’est déboutonné, il a montré sa nudité au public, et naturellement il a cherché les mots les plus blessants pour le peuple qui le regardait : « Vive le roi ! vive la reine ! vive monsei-

  1. Moore, 26 août.
  2. Mortimer-Ternaux, III, 471. Acte d’accusation contre Jean Julien. — Quand nous renvoyons à M. Mortimer-Ternaux, c’est parce que, en vrai critique, il apporte des pièces authentiques et souvent inédites.