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LA RÉVOLUTION


de Mars, etc. Devant une telle parade, nulle hésitation ne subsiste ; désormais, pour les femmes des tribunes, pour les habitués des clubs, pour les piquiers des faubourgs, il est avéré que les aristocrates sont coutumiers du fait.

Et d’autre part, signe aussi alarmant, « cette cérémonie lugubre, dont le sujet devait inspirer tour à tour le recueillement et l’indignation…, n’a pas généralement produit cet effet ». Les gardes nationaux en uniforme, qui sont venus « apparemment pour se dédommager de ne s’être pas montrés au jour de l’action », n’avaient pas la tenue civique, au contraire « un air de dissipation et même de joie bruyante » ; ils étaient là en curieux, en badauds, en Parisiens, et bien plus nombreux que les sans-culottes à piques[1]. Ceux-ci ont pu se compter ; il est clair à leurs propres yeux qu’ils ne sont qu’une minorité, une minorité très petite, et que leurs fureurs n’ont pas d’écho ; il n’y a, pour hâter les jugements et demander des supplices, que les figurants et ordonnateurs de la fête. Un étranger, bon observateur, qui questionne les boutiquiers chez qui il achète, les marchands avec lesquels il est en affaires, les gens qu’il rencontre au café, écrit qu’il « ne trouve nulle part de dispositions sanguinaires, sauf dans les

  1. Les Révolutions de Paris, ib. : « Il y avait là bon nombre de sans-culottes avec leurs piques : mais ils étaient de beaucoup surpassés par la multitude des uniformes de tous les bataillons. » — Moore, 31 août : « À présent les habitants des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau sont tout ce qu’on aperçoit (all that is felt) à Paris du peuple souverain. »