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LA RÉVOLUTION


a refusé des passeports, pour les empêcher d’aller en province rallier les voix et dire au public la vérité sur la révolution récente. — Pareillement, tous les journaux conservateurs ont été supprimés, réduits au silence, ou contraints à la palinodie. — Or, quand on n’a pas d’organe pour parler ni de candidat pour être représenté, à quoi bon voter ? D’autant plus que les assemblées primaires sont des lieux de désordre et de violence[1], qu’en beaucoup d’endroits les patriotes y sont seuls admis[2], qu’un modéré y est « insulté et accablé par le

  1. Rétif de la Bretonne, les Nuits de Paris, Xe nuit, 301 : « Aussitôt les assemblées primaires se formèrent, les intrigants s’agitèrent, on nomma les électeurs, et, par le mauvais mode adopté dans les sections ; le bruit tint lieu de majorité. » — Cf. Schmidt, Tableaux de la Révolution française, I, 98. Lettre de Damour, vice-président de la section du Théâtre-Français, 29 octobre. — Un séjour en France, 29 : « Les assemblées primaires ont déjà commencé dans ce département (Pas-de-Calais). Nous sommes entrés par hasard dans une église, où Robespierre le jeune haranguait un auditoire aussi peu nombreux que peu respectable. Ils applaudissaient du reste assez bruyamment pour compenser ce qui leur manquait d’ailleurs. »
  2. Albert Babeau, I, 518. À Troyes, 26 août, dans la plupart des sections, les révolutionnaires font décider que les parents d’un émigré, désignés comme otages, et les signataires des adresses royalistes ne seront pas admis à voter : « Le peuple souverain, réuni en assemblée primaire, ne peut admettre au nombre de ses membres que des citoyens purs et sur lesquels on ne puisse jeter le moindre soupçon. » (Arrêté de la section de la Madeleine.) — Sauzay, III, 47, 49 et suivantes. À Quingey, le 26 août, Louvot, fermier des forges de Châtillon, avec une centaine de ses ouvriers munis de bâtons, exclut du scrutin les électeurs de la commune de Courcelles, comme « suspects d’incivisme ». — Archives nationales, F7, 3217. Lettres de Gilles, juge de paix du canton de Roquemaure (Gard), 31 octobre 1792 et 23 janvier 1793, sur les procédés électoraux employés dans son canton : « Dutour quitta son fauteuil de président du club pour appuyer la motion de faire lanterner les revêches et les faux patriotes…