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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


club ou par les municipalités voisines, rançonne un à un les gens opulents ou aisés. Pour que rien ne manque au portrait de la bande, notez que, le 23 août, elle a tenté de mettre en liberté les 1800 forçats ; mais ceux-ci se sont méfiés, ils n’ont pas compris qu’on pût les prendre pour alliés politiques, ils n’ont osé sortir, ou, du moins, la portion honnête de la garde nationale est arrivée à temps pour les remettre à la chaîne. Mais son effort s’est arrêté là, et, pendant une année encore, l’autorité publique restera aux mains d’une faction qui, en fait d’ordre public, n’a pas même les sentiments d’un forçat.

Plus d’une fois, pendant le cours de cette longue revue, le ministre a dû sentir une rougeur de honte lui monter au visage ; car, aux réprimandes qu’il adresse aux administrations inertes, elles répliquent par son propre exemple : « Vous voulez que nous dénoncions à l’accusateur public les arrestations arbitraires ; avez-vous dénoncé les coupables de pareils délits et de plus grands dans la capitale[1] ? » — De toutes parts, les

    de le marier. « ; Ah ça, lui avons-nous dit, il est temps que ce mauvais train-là finisse ; à bas les préjugés ! Il faut que le ci-devant marquis épouse la danseuse. » Il l’a épousée, et il a « bien fait ; autrement, il aurait déjà sauté le pas, ou serait au moins à l’ombre, derrière les murailles du Luxembourg. » — Ailleurs, devant un château qu’on démolissait, l’ancien loueur de chaises répétait la phrase de Rousseau : « Un château ne tombe jamais qu’on ne voie s’élever vingt chaumières à la place. » Sa mémoire était farcie de sentences et de tirades semblables qu’il appliquait à l’occasion. — On peut considérer cet homme comme un spécimen assez exact de la moyenne jacobine.

  1. Archives nationales, F7, 3207. Lettre des administrateurs de la Côte-d’Or au ministre, 6 octobre 1792.