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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE

I

Au préalable, ils ont déblayé le terrain, et, par les décrets qu’ils ont arrachés à l’Assemblée constituante, ils ont écarté du scrutin la majorité de la majorité. — D’une part, sous prétexte de mieux assurer la souveraineté du peuple, les élections ont été si multipliées et si rapprochées, qu’elles demandent à chaque citoyen actif un sixième de son temps : exigence énorme pour les gens laborieux qui ont un métier ou des affaires[1] ; or telle est la grosse masse, en tout cas la portion utile et saine de la population. Ainsi qu’on l’a vu, elle ne vient pas voter et laisse le champ libre aux désœuvrés ou aux fanatiques. — D’autre part, en vertu de la Constitution, le serment civique est imposé à tous les électeurs, et il comprend le serment ecclésiastique ; car, si quelqu’un prête le premier en réservant le second, son vote est déclaré nul : en novembre, dans le Doubs, les élections municipales de trente-trois communes sont cassées sous ce seul prétexte[2]. Ainsi, non seulement

  1. La lettre suivante de C. Desmoulins (3 avril 1792) montre à la fois le temps que prenait la vie publique, le genre d’attrait qu’elle exerçait, et l’espèce d’hommes qu’elle détournait de leurs affaires. « J’ai repris mon ancien métier d’homme de loi, auquel je consacre à peu près tout ce que me laissent de temps mes fonctions municipales ou électorales et les Jacobins, c’est-à-dire assez peu de moments. Il m’en coûte de déroger à plaider des causes bourgeoises, après avoir traité de si grands intérêts et la cause publique à la face de l’Europe. »
  2. Sauzay, II, 83-89, et 123. Délibération des habitants de Chalèze qui, les officiers municipaux en tête, se déclarent à l’unani-