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LES JACOBINS


« tuel ou par l’infidélité d’une des deux parties ». Quel qu’il soit et quoi qu’il fasse, nous ne sommes tenus à rien envers lui, il est tenu à tout envers nous ; nous sommes toujours libres « de modifier, limiter, reprendre, quand il nous plaira, le pouvoir dont nous l’avons fait dépositaire ». Par un titre de propriété primordiale et inaliénable, la chose publique est à nous, à nous seuls, et, si nous la remettons entre ses mains, c’est à la façon des rois qui délèguent provisoirement leur autorité à un ministre ; celui-ci est toujours tenté d’abuser, à nous de le surveiller, de l’avertir, de le gourmander, de le réprimer, et, au besoin, de le chasser. Surtout, prenons garde aux ruses et aux manœuvres par lesquelles, sous prétexte de tranquillité publique, il voudrait nous lier les mains. Une loi supérieure à toutes les lois qu’il pourra fabriquer lui interdit de porter atteinte à notre souveraineté, et il y porte atteinte lorsqu’il entreprend d’en prévenir, gêner ou empêcher l’exercice. L’Assemblée, même constituante, usurpe quand elle traite le peuple en roi fainéant, quand elle le soumet à des lois qu’il n’a pas ratifiées, quand elle ne lui permet d’agir que par ses mandataires ; il faut qu’il puisse agir lui-même et directement, s’assembler, délibérer sur les affaires publiques, discuter, contrôler, blâmer les actes de ses élus, peser sur eux par ses motions, redresser leurs erreurs par son bon sens, suppléer à leur mollesse par son énergie, mettre la main avec eux au gouvernail, parfois les en écarter, les jeter violemment par-dessus le bord, et sauver le navire qu’ils conduisent sur un écueil.