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LA RÉVOLUTION


retirent. Par contre, dit Fréron d’un ton triomphant, on comptait dans la salle « soixante vainqueurs de la Bastille, l’intrépide Santerre à leur tête, et qui se proposaient d’intervenir au procès ». — De fait, ils interviennent, et contre le plaignant d’abord : à la porte du tribunal, M. Étienne est assailli, presque assommé et tellement malmené, qu’il est obligé de se réfugier dans le corps de garde ; il est couvert de crachats ; on fait « des motions pour lui couper les oreilles » ; ses amis reçoivent « cent coups de pied » ; il s’enfuit, et la cause est remise. — À plusieurs reprises, elle est appelée de nouveau, et il s’agit maintenant de contraindre les juges. Un certain Mandar, auteur d’une brochure sur la Souveraineté du peuple, se lève au milieu de l’assistance et déclare à Bailly, maire de Paris, président du tribunal, qu’il doit se récuser dans cette affaire. Bailly cède, selon l’usage, en dissimulant sa faiblesse sous un prétexte honorable : « Quoique un juge, dit-il, ne doive être récusé que par des parties, il suffit qu’un seul citoyen ait manifesté son vœu pour que je m’y rende, et je quitte le siège. » Quant aux autres juges, insultés, menacés, ils finissent par plier de même et, par un sophisme qui peint bien l’époque, ils découvrent dans l’oppression que subit l’opprimé un moyen légal de colorer leur déni de justice. M. Étienne leur a signifié qu’il ne pouvait comparaître à l’audience, non plus que son défenseur, parce qu’ils y courent risque de la vie : sur quoi, le tribunal déclare qu’Étienne, « faute d’avoir comparu en personne ou par un défenseur, est non