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LA RÉVOLUTION


incessamment des brevets de vertu, et, à les en croire, ils sont des personnages de Plutarque. — Des Girondins aux Montagnards, l’infatuation va croissant. Simple particulier, à vingt-quatre ans Saint-Just est déjà furieux d’ambition rentrée. « Je crois avoir épuisé, dit Marat, toutes les combinaisons de l’esprit humain sur la morale, la philosophie et la politique. » D’un bout à l’autre de la Révolution, Robespierre sera toujours, aux yeux de Robespierre, l’unique, le seul pur, l’infaillible, l’impeccable ; jamais homme n’a tenu si droit et si constamment sous son nez l’encensoir qu’il bourrait de ses propres louanges. — À ce degré, l’orgueil peut boire la théorie jusqu’au fond, si répugnante qu’en soit la lie, si mortels qu’en soient les effets sur ceux-là mêmes qui en bravent la nausée pour en avaler le poison. Car, puisqu’il est la vertu, on ne peut lui résister sans crime. Interprétée par lui, la théorie divise les Français en

    gueil qui croit se déguiser et ne quitte jamais ses échasses : « Je suis belle, j’ai du cœur, j’ai des sens, j’inspire l’amour, je le ressens, je reste vertueuse ; mon intelligence est supérieure, mon courage invincible ; je suis philosophe, politique, écrivain, digne de la plus haute fortune » : voilà la pensée constante qui perce à travers ses phrases. Jamais de modestie vraie ; en revanche, des indécences énormes commises par bravade et pour se guinder au-dessus de son sexe. Cf. les Mémoires de mistress Hutchinson, qui font contraste. — Mme Roland écrivait : « Je ne vois dans le monde de rôle qui me convienne que celui de Providence. » — La même présomption éclate chez les autres en prétentions moins raffinées. Dans les papiers de l’armoire de fer, on trouve la lettre suivante, adressée au roi par le député Rouyer : « J’ai tout comparé, tout approfondi, tout prévu. Je ne demande pour l’exécution de mes nobles desseins que la direction des forces que la loi vous confie. Je connais les périls et je les brave ; la faiblesse les compte et le génie les détruit. J’ai porté mes regards sur