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LES JACOBINS


égards ou à du respect pour autrui est exclu de leurs paroles comme de leurs actes : l’orgueil usurpateur et tyrannique s’est fait une langue à son image, et l’on voit non seulement les premiers acteurs, mais encore les simples comparses trôner sur leur estrade de grands mots. Chacun d’eux, à ses propres yeux, est un Romain, un sauveur, un héros, un grand homme. « J’étais à la tête des étrangers, écrit Anacharsis Clootz[1], dans les tribunes du Palais, en qualité d’ambassadeur du genre humain ; et les ministres des tyrans me regardaient d’un air jaloux et mal assuré. » À l’ouverture du club de Troyes, un maître d’école recommande aux femmes « d’apprendre à leurs enfants, dès qu’ils commenceront à bégayer, qu’ils sont nés libres, égaux en droits, aux premiers potentats de l’univers[2] ». Il faut lire le voyage de Pétion dans la berline du roi au retour de Varennes pour savoir jusqu’où peuvent monter la suffisance d’un cuistre et la fatuité d’un malotru[3]. Dans leurs Mémoires et jusque dans leurs épitaphes, Barbaroux, Buzot, Pétion, Roland, Mme Roland[4], se décernent

  1. Moniteur, V, 136 : fête de la Fédération du 14 juillet 1790.
  2. Albert Babeau, Histoire de Troyes pendant la Révolution, I, 436 (10 avril 1790).
  3. Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur, I, 353 (récit autographe de Pétion). Ce nigaud gourmé ne sait pas même l’orthographe ; il écrit eselle pour aisselle, etc. Il est persuadé que Mme Élisabeth veut le séduire et lui fait des avances. « Je pense que, si nous eussions été seuls, elle se serait laissée aller dans mes bras, et se serait abandonnée aux mouvements de la nature. » — Mais il se drape dans sa vertu et n’en devient que plus rogue envers le roi, le petit dauphin et les femmes qu’il ramène.
  4. Les Mémoires de Mme Roland sont le chef-d’œuvre de l’or-