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LA RÉVOLUTION


aiguillon pour la conscience, est une flatterie pour l’orgueil[1]. Si énorme et si insatiable que soit l’amour-propre humain, cette fois il est assouvi ; car jamais on ne lui a offert une si prodigieuse pâture. — Ne cherchez pas dans le programme de la secte les prérogatives limitées qu’un homme fier revendique au nom du juste respect qu’il se doit à lui-même, c’est-à-dire les droits civils complets avec le cortège des libertés politiques qui leur servent de sentinelles et de gardiennes, la sûreté des biens et de la vie, la fixité de la loi, l’indépendance des tribunaux, l’égalité des citoyens devant la justice et sous l’impôt, l’abolition des privilèges et de l’arbitraire, l’élection des députés et la disposition de la bourse publique ; bref les précieuses garanties qui font de chaque citoyen un souverain inviolable dans son domaine restreint, qui défendent sa personne et sa propriété contre toute oppression ou exaction publique ou privée, qui le maintiennent tranquille et debout en face de ses concurrents et de ses adversaires, debout et respectueux en face de ses magistrats et de l’État lui-même. Des Malouet, des Mounier, des Mallet du Pan, des partisans de la constitution anglaise et de la monarchie

  1. C. Desmoulins, qui est l’enfant terrible de la Révolution, avoue cette vérité ainsi que toutes les autres. Après avoir cité les révolutions du quinzième et du dix-septième siècle, « qui tiraient leur force de la vertu et avaient leur racine dans la conscience, qui étaient soutenues par le fanatisme et par les espérances d’une autre vie », il conclut ainsi : « Notre révolution, purement politique, n’a ses racines que dans l’égoïsme et dans les amours-propres de chacun, de la combinaison desquels s’est composé l’intérêt général. » (Brissot dévoilé, par C. Desmoulins, janvier 1792). — Buchez et Roux, XIII, 207.