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LA RÉVOLUTION


les femmes surtout sont « enragées de ne rien trouver », veulent recommencer et jurent qu’en huit minutes elles découvriront la cachette. — Manifestement le cauchemar est trop fort pour ces pauvres cervelles sans lest ; elles fléchissent sous leur royauté de rencontre, et l’amour-propre exalté, les convoitises démesurées, la peur intense et sourde y composent cette mixture malsaine et malfaisante qui, dans la démocratie comme dans la monarchie[1], fait les Nérons.

Plus alarmés, plus infatués et plus despotes encore, leurs conducteurs n’ont pas de scrupules qui les retiennent ; car les plus notables sont des hommes tarés, et ce sont justement ceux-ci qui entraînent les autres ou agissent seuls. Des trois chefs de l’ancienne municipalité, le maire, Pétion, annulé en fait et honoré en paroles, est écarté et conservé comme un vieux décor. Quant aux deux autres qui restent actifs et en fonctions, Manuel[2], le procureur-syndic, fils d’un portier, bohème emphatique et sans talent, a volé dans un dépôt public, falsifié et vendu à son profit la correspondance privée

  1. Paroles de Hobbes, appliquées par Rœderer à la démocratie de 1792 : « In democratia tot possent esse Nerones quot sunt oratores qui populo adulantur ; simul et plures sunt in democratia, et quotidie novi suboriuntur. »,
  2. Lucas de Montigny, Mémoires de Mirabeau, II, 231 et suivantes. La préface que Manuel mit en tête de son édition est un chef-d’œuvre de sottise et d’impertinence. — Peltier, Histoire du 10 août, II, 205. — Manuel, « sorti d’une petite boutique de Montargis, allait dans les sixièmes étages colporter des brochures ordurières. Il s’était emparé des lettres de Mirabeau aux bureaux de la police, et les avait vendues 2000 écus. » (Témoignage du juge de paix Bosquillon.)