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LA RÉVOLUTION


aussi, par précaution et pour leur éviter la mauvaise, on fera bien de leur dicter la bonne. — En cela, le Jacobin pourra être de très bonne foi : car les hommes dont il revendique les droits ne sont pas les Français de chair et d’os que l’on rencontre dans la campagne ou dans les rues, mais les hommes en général, tels qu’ils doivent être au sortir des mains de la Nature ou des enseignements de la Raison ! Point de scrupule à l’endroit des premiers : ils sont infatués de préjugés, et leur opinion n’est qu’un radotage. À l’endroit des seconds, c’est l’inverse ; pour les effigies vaines de sa théorie, pour les fantômes de sa cervelle raisonnante, le Jacobin est plein de respect, et toujours il s’inclinera devant la réponse qu’il leur prête ; à ses yeux, ils sont plus réels que les hommes vivants, et leur suffrage est le seul dont il tienne compte. Aussi bien, à mettre les choses au pis, il n’a contre lui que les répugnances momentanées d’une génération aveugle. En revanche, il a pour lui l’approbation de l’humanité prise en soi, de la postérité régénérée par ses actes, des hommes redevenue, grâce à lui, ce que jamais ils n’auraient dû cesser d’être. — C’est pourquoi, bien loin de se considérer comme un usurpateur et un tyran, il s’envisagera comme un libérateur, comme le mandataire naturel du véritable peuple, comme l’exécuteur autorisé de la volonté générale ; il marchera avec sécurité dans le cortège que lui fait ce peuple imaginaire ; les millions de volontés métaphysiques qu’il a fabriquées à l’image de la sienne le soutiendront de leur assentiment unanime, et il projettera dans le dehors, comme un