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LA RÉVOLUTION


quatre autres personnages du même acabit. Mais, de ce côté, l’énergie supplée à l’éducation et au nombre. Un jour Guérard, qui vient de passer M. Hua, député, lui dit en manière d’avertissement : « Grand gueux, tu es bien heureux qu’il y ait eu d’autres personnes avec toi. Si tu avais été seul, j’aurais fait chavirer mon bateau, et j’aurais eu le plaisir de noyer un b… d’aristocrate. » Voilà « les matadors du quartier[1] ». — Leur ignorance ne les embarrasse pas ; au contraire, ils sont fiers de leur grossièreté, et l’orateur ordinaire du faubourg Saint-Antoine, un dessinateur sur étoffes, Gonchon, « au nom des hommes du 14 juillet et du 10 août », vient, à la barre de l’Assemblée, glorifier le règne politique de l’incapacité brutale ; selon lui, elle a plus de lumières que l’intelligence cultivée[2] : « Tous ces grands génies, parés du beau titre de constitutionnaires, sont forcés de rendre justice à des hommes qui n’ont jamais étudié l’art de gouverner que dans le livre de la nature… Consultant les usages et non les principes, nos beaux esprits s’occupent depuis longtemps d’une balance politique ; nous l’avons trouvée sans la chercher : elle est dans le cœur de l’homme. Ayez un gouvernement qui mette le pauvre au-dessus de ses faibles ressources et le riche au-dessous de ses moyens : l’équilibre sera parfait. » Cela s’entend, et de reste ; leur but avoué est le nivellement complet,

  1. Hua, 169.
  2. Moniteur, XIII, 437, séance du 16 août ; applaudissements réitérés et impression.