Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 5, 1904.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
27
LES JACOBINS


rien, et, dans cet au-delà confus, il loge les idoles creuses de son utopie. — Mais, lorsqu’il s’agit de prendre d’assaut le pouvoir ou d’exercer arbitrairement la dictature, sa raideur mécanique le sert, au lieu de lui nuire. Il n’est pas ralenti et embarrassé, comme l’homme d’État, par l’obligation de s’enquérir, de tenir compte des précédents, de compulser les statistiques, de calculer et de suivre d’avance, en vingt directions, les contre-coups prochains et lointains de son œuvre, au contact des intérêts, des habitudes et des passions des diverses classes. Tout cela est maintenant suranné, superflu : le Jacobin sait tout de suite quel est le gouvernement légitime et quelles sont les bonnes lois ; pour bâtir comme pour détruire, son procédé rectiligne est le plus prompt et le plus énergique. Car, s’il faut de longues réflexions pour démêler ce qui convient aux vingt-six millions de Français vivants, il ne faut qu’un coup d’œil pour savoir ce que veulent les hommes abstraits de la théorie. En effet la théorie les a tous taillés sur le même patron et n’a laissé en eux qu’une volonté élémentaire ; par définition, l’automate philosophique veut la liberté, l’égalité, la souveraineté du peuple, le maintien des Droits de l’homme, l’observation du Contrat social. Cela suffit : désormais on connaît la volonté du peuple, et on la connaît d’avance ; par suite, on peut agir sans consulter les citoyens ; on n’est pas tenu d’attendre leur vote. En tout cas, leur ratification est certaine ; si par hasard elle manquait, ce serait de leur part ignorance, méprise ou malice, et alors leur réponse mériterait d’être considérée comme nulle ;