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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


« tour du château, on marcha sur les débris d’innombrables bouteilles ». Dans le jardin surtout, « on eût dit qu’on avait voulu faire des routes de verre pilé ». Des portefaix s’asseyent sur le trône en costumes du sacre ; une drôlesse se couche dans le lit de la reine ; c’est un carnaval où les instincts cruels et bas, débarrassés de leur bride, fourragent en pleine litière. Des fuyards, revenus après la victoire, piquent les morts de leur lance ; des prostituées « bien mises » polissonnent avec les cadavres nus[1]. Et, comme les destructeurs jouissent de leur œuvre, ils ne souffrent pas qu’on la dérange. Dans les cours du Carrousel où neuf cent toises de bâtiments sont embrasées, les pompiers, à quatre reprises, essayent vainement d’éteindre le feu ; « on tire sur eux, on les menace de les jeter dans l’incendie[2] », et des pétitionnaires à la barre viennent, d’un ton menaçant, avertir l’Assemblée que les Tuileries flambent, et flamberont tant qu’elle n’aura pas décrété la déchéance.

La triste Assemblée, devenue girondine par sa mutilation récente, fait quelques vains efforts pour enrayer, pour maintenir, comme elle vient de le jurer, « les autorités constituées[3] », à tout le moins pour mettre Louis XVI dans le palais du Luxembourg, pour nommer un gouverneur au dauphin, pour conserver provisoirement les ministres en exercice, pour sauver les prisonniers et les passants. Aussi captive et presque aussi

  1. Récit de Napoléon. — Mémoires de Barbaroux.
  2. Moniteur, XIII, 387. — Mortimer-Ternaux, II, 340.
  3. Mortimer-Ternaux, II, 303. Paroles du président Vergniaud en recevant Louis XVI. — Ib., 340, 342, 350.


  la révolution. iii.
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