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LA RÉVOLUTION


« s’opposer à un rassemblement aussi considérable et aussi bien armé, et que ce serait un bien grand malheur que de le tenter ». — « Je vous le répète, disait Leroux, il me paraît insensé de songer à se défendre ». — Voilà comment, pendant une heure, ils encouragent la garde nationale. « Je vous demande seulement, dit encore Leroux, de tenir encore quelque temps ; j’espère que nous déterminerons le roi à se rendre à l’Assemblée nationale. » — Toujours la même tactique : livrer la forteresse et le général plutôt que de tirer sur l’émeute. À cet effet, ils remontent et, Rœderer en tête, ils redoublent d’instances auprès du roi. « Sire, dit Rœderer, le temps presse, et nous vous demandons la permission de vous entraîner. » — Pendant quelques minutes, les dernières et les plus solennelles de la monarchie, celui-ci hésite[1]. Probablement son bon sens aperçoit que la retraite est une abdication : mais son intelligence flegmatique n’en démêle pas tout d’abord toutes les conséquences ; d’ailleurs son optimisme n’a jamais sondé l’immensité de la bêtise populaire et les profondeurs de la méchanceté humaine : il ne peut pas imaginer que la calomnie transformera en volonté de verser le sang sa volonté de ne pas verser le sang[2]. De plus, il est engagé par son passé, par son

  1. Barbaroux, Mémoires, 69 : « Tout assurait la victoire à la cour, si le roi n’eût pas quitté son poste… S’il se fût montré, s’il fût monté à cheval, la très grande majorité des bataillons de Paris se fût déclarée pour lui. »
  2. Révolutions de Paris, n° du 11 août 1792 : « Le 10 août 1792 est encore plus affreux que le 24 août 1572, et Louis XVI, bien