Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 5, 1904.djvu/291

Cette page a été validée par deux contributeurs.
287
LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


« de la gauche se lèvent simultanément en criant : Oui, oui, nous ne délibérerons point avant d’être libres ! » — Mais, selon sa coutume, la majorité recule au moment d’adopter les mesures efficaces ; le cœur lui manque, comme toujours, pour se défendre, et, coup sur coup, trois déclarations officielles, en lui dévoilant l’imminence du péril, l’enfoncent plus avant dans sa timidité. Dans cette même séance, le procureur-syndic du département lui annonce que l’insurrection est prête, que 900 hommes armés viennent d’entrer dans Paris, qu’à minuit le tocsin sonnera, que la municipalité tolère ou favorise l’émeute. Dans cette même séance, le ministre de la justice lui écrit que « les lois sont impuissantes », et que le gouvernement ne répond plus de rien. Dans cette même séance, le maire Pétion, avouant presque sa complicité, vient à la barre déclarer très clairement qu’il évitera de requérir la force publique, parce que « c’est armer une portion des citoyens contre les autres[1] ». — Manifestement, tout point d’appui s’est dérobé ; l’Assemblée, se sentant abandonnée, s’abandonne, et, pour tout expédient, avec une faiblesse ou une naïveté qui peint bien les législateurs de l’époque, elle adopte une adresse philosophique, « une instruction au peuple sur l’exercice de sa souveraineté ».

Dès le lendemain, elle peut voir comment il l’exerce. À sept heures du matin, un député jacobin qui arrive en fiacre s’arrête devant la porte des Feuillants ; on

  1. Moniteur, XIII, 370, 374, 375. Discours de Rœderer, lettre de M. Dejoly, discours de Pétion.