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LA RÉVOLUTION


force quelque vérité importune, elle n’y peut subsister ; toute criante et saignante qu’elle soit, il l’expulse ; au besoin, il la tord et l’étrangle, à titre de calomniatrice, parce qu’elle dément un principe indiscutable et vrai par soi. — Manifestement, un pareil esprit n’est pas sain : des deux facultés qui devraient tirer également et ensemble, l’une est atrophiée l’autre hypertrophiée ; le contrepoids des faits manque pour balancer le poids des formules ; Tout chargé d’un côté et tout vide de l’autre, il verse violemment du côté où il penche, et telle est bien l’incurable infirmité de l’esprit jacobin.

Considérez, en effet, les monuments authentiques de sa pensée, le journal des Amis de la Constitution, les gazettes de Loustalot, Desmoulins, Brissot, Condorcet, Fréron et Marat, les opuscules et les discours de Robespierre et Saint-Just, les débats de la Législative et de la Convention, les harangues, adresses et rapports des Girondins et des Montagnards, ou, pour abréger, les quarante volumes d’extraits compilés par Buchez et Roux. Jamais on n’a tant parlé pour si peu dire ; le verbiage creux et l’emphase ronflante y noient toute vérité sous leur monotonie et sous leur enflure. À cet égard, une expérience est décisive : dans cet interminable fatras, l’historien qui cherche des renseignements précis ne trouve presque rien à glaner ; il a beau en lire des kilomètres : à peine s’il y rencontre un fait, un détail instructif, un document qui évoque devant ses yeux une physionomie individuelle, qui lui montre les sentiments vrais d’un villageois ou d’un gentilhomme, qui lui peigne