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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


intéressés de père en fils à l’observation de la loi, troublés par la pensée des conséquences, agités d’idées multiples, incapables de comprendre que, dans l’état de nature où la France est retombée, il n’y a qu’une idée qui vaille, celle de l’homme qui, acceptant la guerre déclarée, répond à l’offensive par l’offensive, et, contre les sauvages démolisseurs de la société humaine, descend dans la rue, le fusil chargé. Personne ne soutient La Fayette, qui seul a eu le courage de se mettre en avant ; au rendez-vous général qu’il a donné aux Champs-Élysées, il ne vient qu’une centaine d’hommes. On y convient de marcher le lendemain contre les Jacobins et de fermer leur club si l’on est 300, et le lendemain on se trouve 30. La Fayette n’a plus qu’à quitter Paris et à protester par une nouvelle lettre. — Protestations, appels à la Constitution, au droit, à l’intérêt public, au sens commun, arguments bien déduits, il n’y aura jamais de ce côté que des discours et des écritures ; or, dans le conflit qui s’engage, les discours et les écritures ne servent pas. — Imaginez un débat entre deux hommes, l’un qui raisonne juste, l’autre qui ne sait guère que déclamer, mais qui, ayant rencontré sur son chemin un dogue énorme, l’a flatté, alléché et l’amène avec lui comme auxiliaire. Pour le dogue, les beaux raisonnements ne sont que du papier noirci ou du bruit en l’air ; les yeux ardents et fixés sur son maître provisoire, il n’attend qu’un geste pour sauter sur les adversaires qu’on lui désigne. Le 20 juin, il en a presque étranglé un et l’a couvert de sa bave. Le