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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


Vergniaud, les pétitionnaires sont introduits : dans une adresse emphatique et menaçante, leur orateur, Huguenin, dénonce les ministres, le roi, les accusés d’Orléans, les députés de la droite, demande « du sang », et annonce que le peuple « debout » est prêt à se faire justice[1]. Ensuite, au bruit des tambours et au son de la musique, pendant plus d’une heure, sous l’œil de Santerre et de Saint-Huruge, la multitude défile à travers la salle : çà et là passent quelques pelotons de gardes nationaux confondus dans la cohue et perdus dans « la forêt ambulante des piques » ; tout le reste, est pure populace, « figures hideuses[2] » dit un député, où la misère et l’inconduite ont laissé leurs stigmates, déguenillés, hommes « sans habit », en manches de chemise, armés de toutes façons, de bisaiguës, de tranchets, de lames de couteau ajustées sur un bâton, l’un avec une scie emmanchée au bout d’une perche longue de dix pieds, parmi eux des enfants, des femmes, quelques-unes brandissant un sabre[3] ; au milieu de ce

  1. Moniteur, XII, 717. « Quel malheur pour des hommes libres, qui vous ont transmis tous leurs pouvoirs, de se voir réduits à la cruelle nécessité de tremper leurs mains dans le sang des conspirateurs ! » etc. — Le style indique la qualité des meneurs. Le scribe inepte qui a rédigé l’adresse ne sait pas même le sens des mots. « Le peuple le veut ainsi, et sa tête vaut bien celle des despotes couronnés. Cette tête est l’arbre généalogique de la nation, et, devant cette tête robuste, le faible roseau doit plier. » Il a récité jadis la fable du Chêne et du Roseau, il sait les noms de Démosthène, Cicéron et Catilina. On dirait d’un maître d’école devenu écrivain public et composant dans son échoppe, à un sou la page.
  2. Hua, Mémoires, 134.
  3. Moniteur, XII, 718.