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LA RÉVOLUTION


pose qu’il est maté, on compte sur sa docilité éprouvée, à tout le moins sur son inertie foncière ; on croit avoir fait de lui ce que Condorcet demandait jadis ; une machine à signatures[1]. En conséquence, sans l’avertir et comme si le trône était vacant, Servan vient, de son propre chef, proposer à l’Assemblée le camp sous Paris. De son côté, Roland, en plein conseil, lui lit une remontrance de pédagogue hautain, scrute ses sentiments, lui enseigne ses devoirs, le somme de se convertir « à la religion » nouvelle, de sanctionner le décret contre les ecclésiastiques insermentés, c’est-à-dire de condamner à la mendicité, à la prison, à la déportation 70 000 prêtres et religieuses coupables d’orthodoxie, d’autoriser le camp sous Paris, c’est-à-dire de mettre son trône, sa personne et sa famille à la discrétion de 20 000 furieux choisis par les clubs et assemblés exprès pour lui faire violence[2] ; bref, d’abdiquer à la fois sa conscience et son bon sens. — Chose étrange ; cette fois le soliveau royal ne se laisse pas ébranler : non seulement il refuse, mais il renvoie ses ministres. Tant pis pour lui ; il signera et les reprendra, coûte que coûte ; puisqu’il s’obstine à

  1. Lettre d’un jeune mécanicien, proposant de fabriquer un roi constitutionnel, lequel, « au moyen d’un ressort, prendrait des mains du président de l’Assemblée la liste des ministres que désignerait la majorité. » (1791.)
  2. Moniteur, XI, 426, séance du 19 mai. Discours de La Source : « Ne pourrait-on pas disposer les choses de manière qu’une force assez considérable, assez voisine de la capitale, pût y contenir dans l’inaction et la terreur les factieux, les intrigants, les traîtres, qui trament en son sein des projets perfides coïncidants aux manœuvres des ennemis de dehors ? »