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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


« faire des compliments et à éviter les galères[1] ». Mais cela ne suffit pas, il faut encore qu’ils soient jacobins, sinon la haute cour d’Orléans sera pour eux, comme pour M. de Lessart, l’antichambre du bagne et de la guillotine. « L’épouvante et la terreur, dit Vergniaud en montrant du doigt les Tuileries, sont souvent sorties, dans les temps antiques et au nom du despotisme, de ce palais fameux : qu’elles y rentrent aujourd’hui au nom de la loi[2] ! »

Même avec un ministère jacobin, elles y sont en permanence. Non seulement Roland, Clavière et Servan ne couvrent pas le roi, mais ils le livrent et, sous leur patronage, il est, avec leur connivence, plus sacrifié, plus harcelé, plus vilipendé qu’auparavant. Dans l’Assemblée, leurs partisans le diffament à tour de rôle, et Isnard propose contre lui l’adresse la plus grossièrement insolente[3]. Devant son palais, ce sont des cris de mort ; c’est un abbé ou un militaire qu’on roue de coups et qu’on traîne dans le bassin des Tuileries ; c’est un canonnier de la garde qui apostrophe la reine comme une poissarde et lui dit : « Que j’aurai de plaisir à mettre ta tête au bout de ma baïonnette[4] ! » — Sous cette double pression du corps législatif et de la rue, on sup-

  1. Mercure de France, n° du 10 mars 1792.
  2. Moniteur, XI, 607, séance du 10 mars.
  3. Moniteur, XII, 396, séance du 15 mai. Cette adresse d’Isnard est le canevas de la célèbre lettre de Roland. — Cf., passim, les séances de l’Assemblée pendant le ministère girondin, notamment celles des 19 et 20 mai, du 5 juin, etc.
  4. Dumouriez, Mémoires, livre III, ch. vi.