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LES JACOBINS


« manque et de ne composer sa vie que de jouissances. » C’en est déjà une, et très vive, que de spéculer ainsi ; on plane dans les espaces : au moyen de huit ou dix phrases toutes faites, grâce à l’un de ces catéchismes de six sous qui courent par milliers dans les campagnes et dans les faubourgs[1], un procureur de village, un commis de barrière, un contrôleur de contre-marques, un sergent de chambrée, se trouve législateur et philosophe ; il juge Malouet, Mirabeau, les ministres, le roi, l’Assemblée, l’Église, les cabinets étrangers, la France et l’Europe. Par suite, sur ces hautes matières qui lui semblaient pour toujours interdites, il fait des motions, il lit des adresses, il harangue, il est applaudi, il s’admire de raisonner si bien et avec de si grands mots. À présent, c’est un emploi, une gloire et un profit que de pérorer sur des questions qu’on n’entend pas. « On parle plus en un jour, dit un témoin oculaire[2], dans une section de Paris que dans toutes les assemblées politiques de la Suisse pendant l’année entière. Un Anglais étudierait six mois ce que nous décidons en un quart d’heure », et partout, dans les hôtels de ville, aux sociétés populaires, aux assemblées de section, dans les cabarets, dans les promenades publiques, au coin des rues, la vanité installe une tribune pour le verbiage. « Qu’on examine

  1. Entretiens du Père Gérard, par Collot d’Herbois. — Les Étrennes au peuple, par Barère. — La Constitution française pour les habitants des campagnes, etc. — Plus tard, l’Alphabet des Sans-Culottes, le Nouveau Catéchisme républicain, les Commandements de la Patrie et de la République (en vers), etc.
  2. Mercure de France, article de Mallet du Pan, 7 avril 1792 (Résumé de l’armée 1791).


  la révolution. iii.
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