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LA RÉVOLUTION


rité de la population, tous les hommes « honnêtes ou non qui avaient quelque chose à perdre[1] ». Lui chassé, puis proscrit, puis emprisonné, ils s’abandonnent, et Marseille appartient à la plèbe, quarante mille indigents et aventuriers que conduit le club.

Pour mieux leur assurer l’empire, un mois après l’expulsion de M. Lieutaud, la municipalité a déclaré actif tout citoyen ayant une profession ou un métier[2]. En conséquence, au mépris de la loi constitutionnelle, les va-nu-pieds viennent aux assemblées de section. Par contre-coup les propriétaires ou négociants s’en retirent, et ils font sagement ; car le mécanisme ordinaire de la démagogie n’a pas tardé à opérer. « L’assemblée de chaque section est composée d’une douzaine de factieux, membres du club, qui chassent les honnêtes gens en leur présentant des bâtons et des baïonnettes. Les délibérations se préparent au club de concert avec la municipalité, et malheur à qui ne les accepterait pas dans ces assemblées ! On a été jusqu’à menacer quelques citoyens, qui voulaient faire des observations, de les enterrer sur-le-champ dans les caveaux des églises[3]. » L’argument s’est trouvé irrésistible :

  1. Archives nationales, F7, 3197. Correspondance de MM. Debourges, Gay et Laffitte, commissaires envoyés en Provence, par décret de l’assemblée nationale, pour rétablir la paix. — Lettre du 10 mai 1791, et passim.
  2. Le maire Martin, dit le Juste, était une sorte de Pétion, vaniteux et faible. — Barbaroux, secrétaire-greffier de la municipalité, est le principal adversaire de M. Lieutaud. — L’arrêté municipal dont il s’agit est du 10 septembre 1790.
  3. Archives nationales, F7, 3197. Lettres des trois commissaires, 12 avril, 13 avril, 18 avril et 10 mai 1791.