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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE

algues déracinées et pourries, flottent, de côte en côte, sur tout le pourtour de la Méditerranée ; véritable sentine où se déverse la lie de vingt civilisations gâtées et demi-barbares, où s’entasse et fermente « l’écume de crimes vomis des prisons de Gênes, du Piémont, de la Sicile, de toute l’Italie enfin, de l’Espagne, de l’Archipel et de la Barbarie[1] » : rien d’étonnant si, dans une telle ville, le règne de la populace s’est établi plus tôt qu’ailleurs. — Après mainte explosion, il s’est fondé, le 17 août 1790, par la destitution de M. Lieutaud, sorte de La Fayette bourgeois et modéré, qui commandait la garde nationale. Autour de lui se ralliait la majo-

    breuses opérations manuelles du commerce, égarés pendant la Révolution et successivement l’effroi du parti dominé, habitués malheureusement à recevoir alors un salaire pour paraître dans les luttes politiques, réduits à présent, pour vivre, à des distributions presque gratuites de pain, au trafic des petites denrées, aux travaux serviles et rares du moment, enfin à l’escroquerie : telle est, pour l’observateur, la portion la plus apparente de la population de Marseille ; avide d’événements dont elle puisse tirer parti, facile à séduire, active par ses besoins, elle afflue partout et paraît très nombreuse… Le patriote Escalon avait vingt rations par jour, et le journaliste Féri en avait six, etc… Les officiers civils et les commissaires de quartier sont encore, pour la plupart, de ces hommes que la pratique révolutionnaire avait accoutumés à vivre sans travail, à reverser les bienfaits de la nation sur ceux qui partageaient leurs principes, enfin à recevoir des contributions des maisons de débauche et de jeu. Ces commissaires avertissent les exclusifs, même les escrocs, alors qu’on veut mettre à exécution les mandats d’arrêt décernés contre eux. »

  1. Blanc-Gilly, Réveil d’alarme d’un député de Marseille (cité dans les Mémoires de Barbaroux, 40, 41). Blanc-Gilly doit connaître ces drôles, car il s’est servi d’eux dans l’émeute d’août 1789 et a été décrété d’accusation à ce sujet. — Cf. Fabre, Histoire de Marseille, II, 422.