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LES JACOBINS


l’on a fait et, par une conséquence naturelle, les gens qui étaient aux premières places ont été relégués aux dernières ; beaucoup ont été assommés dans la bagarre et, dans le désordre permanent qu’on appelle l’ordre définitif, les talons rouges, les escarpins continuent à être écrasés par les gros souliers et les sabots. — À présent l’esprit dogmatique et l’amour-propre intempérant peuvent se donner carrière : il n’y a plus d’établissement ancien qui leur impose, ni de force physique qui les réprime. Au contraire, par ses déclarations théoriques et par ses applications pratiques, la Constitution nouvelle les invite à s’étaler. — Car, d’une part, en droit, elle se dit fondée sur la raison pure et débute par une enfilade de dogmes abstraits desquels elle prétend déduire rigoureusement ses prescriptions positives : c’est soumettre toutes les lois au bavardage des raisonneurs qui vont les interpréter et les violer d’après les principes. — D’autre part, en fait, elle livre tous les pouvoirs à l’élection et confère aux clubs le contrôle des autorités : c’est offrir une prime à la présomption des ambitieux qui se mettent en avant parce qu’ils se croient capables et qui diffament leurs gouvernants pour les remplacer. — Tout régime est un milieu qui opère sur les plantes humaines pour en développer quelques espèces et en étioler d’autres. Celui-ci est le meilleur pour faire pousser et pulluler le politique de café, le harangueur de club, le motionnaire de carrefour, l’insurgé de place publique, le dictateur de comité, bref le révolutionnaire et le tyran. Dans cette serre chaude, la chimère et l’ou-