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LA RÉVOLUTION


pensable de restaurer le pouvoir exécutif, que le gendarme en chef, ayant les mains liées, ne pouvait faire son office, que, si l’on voulait l’employer efficacement contre les fous et les drôles, il fallait au préalable lui délier les mains.

V

Tout au rebours avec la guerre : incontinent la face des choses change, et l’alternative se déplace. Il ne s’agit plus de choisir entre l’ordre et le désordre, mais entre le nouveau régime et l’ancien, car derrière les étrangers on aperçoit les émigrés à la frontière. L’ébranlement est terrible, surtout dans la couche profonde qui jadis portait seule presque tout le poids du vieil édifice, parmi les millions d’hommes qui vivent péniblement du travail de leurs bras, artisans, petits cultivateurs ; métayers, manœuvres, soldats, et aussi contrebandiers, faux-sauniers, braconniers, vagabonds, mendiants et demi-mendiants, qui, taxés, dépouillés, rudoyés depuis des siècles subissaient, de père en fils, la misère, l’oppression et le dédain. Ils savent, par leur expérience propre, la différence de leur condition récente et de leur condition présente. Ils n’ont qu’à se souvenir pour revoir en imagination l’énormité des taxes royales, ecclésiastiques et seigneuriales, les 81 pour 100 d’impôt direct, les garnisaires, les saisies et les corvées, l’inquisition du gabelou, du rat de cave et du garde-chasse, les ravages du gibier et du colombier, l’arbitraire du collec-