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LES JACOBINS


pour lui, et l’ont enfermé d’avance dans la forme morale, politique et sociale qui leur a plu. Peu importe si elle lui déplaît ; il faut qu’il la subisse, et que, comme un cheval attelé, il marche entre deux brancards sous le harnais qu’on lui a mis. — D’ailleurs, quelle que soit l’organisation, comme, par essence, elle est une hiérarchie, presque toujours il y est et il y restera subalterne, soldat, caporal ou sergent. Même sous le régime le plus libéral et là où les premiers grades sont accessibles à tous, pour cinq ou six hommes qui priment ou commandent, il y en a cent mille qui sont primés ou commandés, et l’on a beau-dire à chaque conscrit qu’il a dans son sac le bâton de maréchal de France, neuf cent quatre-vingt-dix-neuf fois sur mille, il découvre très vite, après avoir fouillé le sac, que le bâton n’y est pas ; — Rien d’étonnant s’il est tenté de regimber contre des cadres qui, bon gré mal gré, l’enrégimentent, et dans lesquels la subordination sera son lot. Rien d’étonnant si, au sortir de la tradition, il adopte la théorie qui soumet ces cadres à son arbitraire et lui confère toute autorité sur ses supérieurs. D’autant plus qu’il n’y a pas de doctrine plus simple et mieux appropriée à son inexpérience ; elle est la seule qu’il puisse comprendre et manier du premier coup : de là vient que la plupart des jeunes gens, surtout ceux qui ont leur chemin à faire, sont plus ou moins Jacobins au sortir du collège ; c’est une maladie de croissance[1]. — Dans les sociétés bien constituées, la

  1. G. Flaubert. « Tout notaire a rêvé des sultanes. » (Madame Bovary.) — « Frédéric trouvait que le bonheur mérité par l’ex-