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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


« la fortune des citoyens aient été assujettis, comme des jeux de spectacles, aux applaudissements, aux sifflets des spectateurs ? » — « Au fait ! » lui crient les tribunes. « Si jamais, reprend Quatremère, l’acte judiciaire le plus important (un acte d’accusation capitale) peut être livré à cette scandaleuse prostitution d’applaudissements et de menaces… » Les murmures redoublent. — Toutes les fois qu’il s’agit d’emporter une mesure sanguinaire ou incendiaire, des clameurs forcenées et prolongées brisent la voix des opposants : « À bas l’orateur ! À l’Abbaye le rapporteur ! À bas, à bas ! » Parfois il n’y a qu’une vingtaine de députés pour applaudir ou huer avec les galeries, et c’est l’Assemblée presque entière qui est insultée. On porte le poing au visage du président ; il ne reste plus qu’à « faire descendre les tribunes dans la salle pour rendre les décrets », et un membre de la droite en fait ironiquement la proposition expresse[1]. — Mais si énorme que soit l’usurpation, pour dompter la majorité, la minorité s’en accommode, et les Jacobins de la salle font cause commune avec les Jacobins des galeries. On n’a pas le droit d’expulser les perturbateurs : « ce serait, dit Grangeneuve, exclure de nos délibérations ce qui est essentiellement peuple ». Un député ayant réclamé des mesures pour réduire les criards au silence, « Torné demande le renvoi de la proposition à l’inquisition de Portugal » : Choudieu « déclare qu’elle ne peut venir que de députés qui oublient

  1. Moniteur, XIII, 212, séance du 22 juillet.