Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 5, 1904.djvu/137

Cette page a été validée par deux contributeurs.
133
LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


Pour eux, ils entendent bien aller jusqu’au bout : avec une confiance de jeunes gens et de théoriciens, ils tirent leurs conséquences et se savent bon gré d’y croire si fort. « Ces Messieurs, dit un observateur pénétrant[1], faisaient profession d’un profond dédain pour leurs devanciers les Constituants ; ils les traitaient de gens à petites vues, à préjugés, et qui n’avaient pas su profiter des circonstances. » — « Aux observations de la sagesse et de la sagesse désintéressée[2], ils répondaient par un sourire moqueur, symptôme de l’aridité qui résulte de l’amour-propre. On s’épuisait à leur rappeler les circonstances et à leur en déduire les causes ; on passait tour à tour de la théorie à l’expérience et de l’expérience à la théorie pour leur en démontrer l’identité, et, s’ils consentaient à répondre, ils niaient les faits les plus authentiques et combattaient les observations les plus évidentes en leur opposant quelques maximes communes, bien qu’exprimées avec éloquence. Ils se regardaient entre eux comme s’ils eussent été seuls dignes de s’entendre, et s’encourageaient par l’idée que tout était pusillanimité dans la résistance à leur manière de voir. » — À leurs propres yeux ; ils sont les seuls capables et les seuls patriotes. Parce qu’ils ont lu Rousseau et Mably, parce qu’ils ont la langue déliée et la plume courante, parce qu’ils savent

  1. Souvenirs inédits du chancelier Pasquier.
  2. Mme de Staël, Considérations sur la Révolution française, IIIe partie, chapitre III. — Mme de Staël a causé avec eux, et les juge avec sa finesse de femme du monde.