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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


intempérant. La raideur y a dégénéré en insolence, le préjugé en fanatisme, la myopie en aveuglement. Le désordre s’y exagère jusqu’au tumulte, et le bruit jusqu’au vacarme. Figurez-vous, dit un témoin oculaire et habituel, « une salle de collège, où des centaines d’écoliers se querellent et sont, à chaque instant, sur le point de se prendre aux cheveux. Leur costume plus que négligé, leurs mouvements emportés ; leur brusque passage des clameurs aux huées…, sont un spectacle qu’on ne peut comparer ni peindre ». Rien n’y manque pour en faire un club de basse espèce. On y pratique d’avance les procédés de la future inquisition révolutionnaire ; on y accueille des dénonciations burlesques : on y fait des interrogatoires de petite police ; on y pèse des cancans de portiers et des commérages de servantes ; on emploie une séance de nuit à recevoir les confidences d’un ivrogne[1]. On inscrit au procès-verbal et sans improbation la pétition de « M. Huré, habitant de Pont-sur-

  1. Mercure de France, n° du 17 décembre. Interrogatoire à la barre de Rauch, prétendu embaucheur qu’on est obligé de renvoyer absous. Rauch leur dit : « Je n’ai pas d’argent et ne puis coucher à moins de 6 sous, parce que je pisse au lit. » — Moniteur, XII, 574, séance du 4 juin. Rapport de Chabot : « Un mercier de Mortagne dit qu’un domestique venant de Coblentz lui a dit qu’une troupe va enlever le roi ou l’empoisonner, pour en rejeter l’odieux sur l’Assemblée nationale. » Bernazais, de Poitiers, écrit : « Un brave citoyen m’a dit hier soir : J’ai été voir une fille, domestique chez un noble ; elle m’a assuré que son maître partait cette nuit pour Paris, pour se réunir aux 30 000 qui doivent, sous un mois, égorger l’Assemblée nationale et mettre le feu aux quatre coins de Paris. » — « M. Gérard, sellier à Amiens, nous écrit que l’on parle de la fuite de Louis XVI à l’aide de 5000 relais ; on doit ensuite tirer à boulets rouges sur l’Assemblée nationale. »