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LA RÉVOLUTION


geant des électeurs un petit cens et des éligibles un cens plus fort, « consacre l’aristocratie des riches ». Les pauvres, exclus par le décret, doivent le considérer comme non avenu, se faire inscrire d’autorité et voter sans scrupule, car le droit naturel prime le droit écrit, et les millions de citoyens qu’on vient de dépouiller injustement de leur vote n’auraient exercé que de justes « représailles » si, au sortir de la séance, ils avaient pris au collet les chefs de la majorité usurpatrice en leur disant : « Vous venez de nous retrancher de la société parce que vous étiez les plus forts dans la salle ; nous vous retranchons à votre tour du nombre des vivants, parce que nous sommes les plus forts dans la rue. Vous nous avez tués civilement ; nous vous tuons physiquement. »

Aussi bien, à ce point de vue, toute émeute devient légitime. Robespierre, à la tribune[1], excuse les jacqueries, refuse d’appeler brigands les incendiaires des châteaux, justifie, les insurgés de Soissons, de Nancy, d’Avignon, des colonies. À propos des deux pendus de Douai, Desmoulins remarque qu’ils l’ont été par le peuple et par les soldats réunis : « Dès lors, je le dis sans crainte de me tromper, ils avaient légitimé l’insurrection » ; ils étaient coupables, et l’on a bien fait de les pendre[2]. — Non seulement les meneurs du parti excusent les assassinats,

  1. Ernest Hamel, Histoire de Robespierre, I, 456 et passim. Robespierre propose d’accorder aux hommes de couleur les droits politiques. — Buchez et Roux, IX, 264 (mars 1791).
  2. Buchez et Roux, V, 146 (mars 1790) ; VI, 436 (26 juillet 1790) ; VIII, 247 (décembre 1790) ; X, 224 (juin 1791).