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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


dissimulent pas « qu’au premier coup de canon tiré sur la frontière, ils feront égorger tous les nobles et tous les prêtres insermentés ». — Après que le roi a juré la Constitution, le département insiste de nouveau : ils n’en ont cure. Au contraire, la garde nationale, traînant des canons, vient stationner exprès, avec des menaces et des insultes, devant les hôtels des gentilshommes désarmés. Leurs femmes sont poursuivies dans la rue par des gamins qui leur chantent sous le nez le Ça ira ; et, dans le refrain final, insèrent leur nom en leur promettant la lanterne. « Nul d’entre eux ne peut plus donner à souper à une douzaine de ses amis sans courir le risque d’exciter une fermentation. » — Là-dessus, les anciens chefs de la garde nationale se démettent, et les Jacobins profitent de l’occasion. Au mépris de la loi, tout le corps des officiers est renouvelé, et, comme les gens paisibles n’osent donner leurs suffrages, le nouvel état-major « se compose de gens forcenés, pris pour la plupart dans la dernière classe ». Avec cette milice épurée, le club expulse les religieuses, chasse les prêtres insermentés, fait des expéditions dans le voisinage, et va jusqu’à purger les municipalités suspectes[1]. — Tant de violences à la ville

  1. Le 15 août 1791, la supérieure de l’Hôtel-Dieu, enlevée de force, est déposée dans un cabaret à une demi-lieue de la ville ; puis les autres religieuses sont chassées et remplacées par huit jeunes filles de la ville. Entre autres motifs, il faut noter l’hostilité de deux apothicaires membres du club : les religieuses de l’Hôtel-Dieu avaient une pharmacie qu’elles défrayaient en vendant des drogues, et cela faisait concurrence aux deux apothicaires.