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LA RÉVOLUTION


colportent une liste de proscription, tombent sur le scrutateur à coups de poing, puis à coups de sabre : les proscrits se cachent, et, le lendemain, « personne ne veut se rendre à l’assemblée électorale ». — C’est bien pis en 1791. Au mois de juin, juste au moment où s’ouvraient les assemblées primaires, le roi s’est enfui à Varennes, la révolution a semblé compromise, la guerre civile et la guerre étrangère se sont levées à l’horizon comme deux spectres, la garde nationale a partout couru aux armes, et les Jacobins ont exploité à leur profit la panique universelle. Il ne s’agit plus de leur disputer les voix ; en ce moment, il n’est pas bon d’être en vue : parmi tant d’attroupements tumultueux, une exécution populaire est vite faite. Royalistes, constitutionnels, conservateurs ou modérés de toute espèce, les amis de l’ordre et de la loi ne songent plus qu’à rester chez eux, trop heureux si on les y souffre, et la plèbe armée ne les y souffre qu’à condition de les visiter souvent.

Considérez leur situation pendant toute la période électorale dans un district tranquille, et, par ce coin de la France, jugez du reste. À Mortagne[1], petite ville de six mille âmes, jusqu’au voyage de Varennes le bon esprit de 1789 avait subsisté. Il y avait beaucoup de libéraux dans les quarante ou cinquante familles nobles. Là comme ailleurs, chez les gentilshommes, dans le

    Voilà quatre duels en quarante-huit heures, et dix ou douze bons citoyens obligés de se cacher depuis trois jours. »

  1. Archives nationales, F7, 3249. Mémoire sur l’état actuel de la ville et du district de Mortagne, département de l’Orne (novembre 1791).