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LA RÉVOLUTION


public en maintenant les réformes acquises. De leur côté, toutes les formalités ont été remplies ; ils sont déjà 800 à Paris ; les souscriptions affluent dans leur caisse ; de toutes parts, la province leur envoie des adhésions, et, ce qui est pis, par des distributions de pain à prix réduit, ils vont peut-être se concilier le peuple. Voilà un centre d’opinion et d’influence analogue à celui des Jacobins, et c’est ce que les Jacobins ne peuvent souffrir[1]. M. de Clermont-Tonnerre ayant loué par bail le Wauxhall d’été, un capitaine de la garde nationale vient avertir le propriétaire que, s’il livre la salle, les patriotes du Palais-Royal s’y porteront en corps pour la fermer ; celui-ci, qui craint les dégâts, rompt son engagement, et la municipalité, qui craint les échauffourées, suspend les séances. La Société réclame, insiste, et le texte de la loi est si précis, que l’autorisation officielle est enfin accordée. Aussitôt les orateurs et les journaux jacobins se déchaînent contre les futurs rivaux qui menacent de leur disputer l’empire. Le 23 janvier 1791, à l’Assemblée nationale, par une métaphore qui peut devenir un appel au meurtre, Barnave accuse les membres du nouveau club « de donner au peuple un pain empoisonné ». Quatre jours après, la maison de M. de Clermont-Tonnerre est assaillie par des rassemblements armés ; Malouet, qui en sort, est presque arraché de sa voiture, et l’on crie autour de lui : « Voilà le b… qui a dénoncé le peuple ! » Enfin,

  1. Malouet, II, 50. Mercure de France nos du 7 janvier, 5 février, 9 avril 1791. Lettre d’un membre du club monarchique.