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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


leur rôle présent, inquiets pour l’État, inquiets pour eux-mêmes, et ils ne trouvent de sécurité que dans l’usurpation. Sur des bruits de café, des municipalités jugent les ministres, décident qu’ils sont traîtres. Avec une raideur de conviction et une intrépidité de présomption extraordinaires, elles se croient en droit d’agir sans leurs ordres, contre leurs ordres, contre les ordres de l’Assemblée elle-même, comme si, dans la France dissoute, chacune d’elles était la nation.

Aussi bien, si la force armée obéit maintenant à quelqu’un, c’est à elles et à elles seules, non seulement la garde nationale, mais encore la troupe, qui, soumise à leurs réquisitions par un décret de l’Assemblée nationale[1], ne veut plus déférer qu’à leurs réquisitions. — Dès le mois de septembre 1789, les commandants militaires des provinces se déclarent impuissants : entre leurs ordres et celui d’une municipalité, c’est celui de la municipalité que les troupes exécutent. « Si pressant que soit le besoin de les porter aux lieux où leur présence est nécessaire, elles sont arrêtées par la résistance du comité de leur village[2]. » — « Sans aucun motif raisonnable, écrit le commandant de la Bretagne, Vannes et Auray se sont opposées au détachement que je croyais sage d’envoyer à Belle-Île pour en remplacer un autre… Le gouvernement ne peut plus faire un pas sans rencontrer des obstacles… Le mi-

  1. Décret du 10-14 août 1789.
  2. Archives nationales, KK, 1105. Correspondance de M. de Thiard, 11 septembre 1789. « Les troupes n’obéissent plus qu’aux municipalités. » — 30 juillet, 11 août 1790.