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LA RÉVOLUTION


villageois dépend la sûreté du château voisin, du grand propriétaire et de sa famille, du prélat, de tous les personnages du canton. Pour qu’ils soient à l’abri, il faut qu’il les protège ; ils seront pillés si, en cas d’émeute, il n’envoie pas à leur secours la garde nationale et la troupe. C’est lui qui, avec son conseil communal, fixe au taux qu’il lui plaît leurs impositions. C’est lui qui, leur accordant ou leur refusant un passeport, les oblige à rester ou leur permet de partir. C’est lui qui, prêtant ou refusant la force publique à la perception de leurs fermages, leur donne ou leur ôte les moyens de vivre. Il règne donc, et à la seule condition de gouverner au gré de ses pareils, de la multitude bruyante, du groupe remuant et dominant qui l’a élu. — Dans les villes surtout, et notamment dans les grandes villes, le contraste est immense entre ce qu’il était et ce qu’il est, puisque à la plénitude du pouvoir s’ajoute pour lui l’étendue de l’action. Jugez de l’effet sur sa cervelle, à Marseille, Bordeaux, Nantes, Rouen, Lyon, où il tient dans sa main les biens et les vies de quatre-vingt ou cent mille personnes. D’autant plus que, parmi ces officiers municipaux des villes, les trois quarts, procureurs ou avocats, sont imbus des dogmes nouveaux et persuadés qu’en eux seuls, élus directs du peuple, réside l’autorité légitime. Éblouis par leur grandeur récente, ombrageux comme des parvenus, révoltés contre tous les pouvoirs anciens ou rivaux, ils sont en outre alarmés par leur imagination et par leur ignorance, vaguement troublés par la disproportion de leur rôle passé et de