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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


« il y a bal et rafraîchissement à la Halle au Blé, bal sur l’emplacement de la Bastille ». — À Tours, où cinquante-deux détachements des provinces voisines se sont assemblés[1], vers quatre heures du soir, par un élan irrésistible de gaieté folle, « les officiers, bas officiers et soldats, pêle-mêle, se mettent à courir dans les rues, les uns le sabre à la main, les autres formant des danses, criant Vive le roi ! Vive la nation ! jetant leurs chapeaux en l’air, et forçant à danser toutes les personnes qu’ils rencontrent sur leur chemin. Un chanoine de la cathédrale qui passait tranquillement est affublé d’un bonnet de grenadier », entraîné dans la ronde ; après lui, deux religieux ; « on les embrasse beaucoup », puis on les laisse aller. Arrivent les voitures du maire et de la marquise de Montausier : on monte dedans, derrière, sur les sièges du haut, tant qu’ils peuvent contenir, et l’on force les cochers à parader ainsi dans les principales rues. Ce n’est point malice, mais gaminerie, accès de verve. « Personne ne fut maltraité ni insulté, quoique tout le monde fût ivre. » — Pourtant, symptôme fâcheux, le lendemain, les soldats du régiment d’Anjou sortent de leurs casernes, « et passent toute la nuit dehors, sans qu’on puisse les en empêcher ». — Symptôme plus grave : à Orléans, après que les milices nationales ont dansé le soir sur la place, « un grand nombre de volontaires courent la ville avec des tambours en criant de toutes

  1. Archives nationales, H, 1453. Correspondance de M. de Bercheny, 25 mai 1790.