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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


a sa petite brouette qu’il pousse, et c’est de celle-ci d’abord et surtout qu’il se croit responsable. Dès le commencement de 1790, le relevé des votes montre autant d’absents que de présents : à Besançon, sur 3200 inscrits il n’y a que 959 votants ; quatre mois après, plus de la moitié des électeurs manque au scrutin[1], et, dans toute la France, à Paris même, la tiédeur ne fera que croître. Des administrés de Louis XV et de Louis XVI ne deviennent pas du jour au lendemain des citoyens de Florence ou d’Athènes. On n’improvise pas, dans le cœur et l’esprit de trois ou quatre millions d’hommes, des facultés et des habitudes capables de détourner un tiers de leurs forces vers un travail nouveau, disproportionné, gratuit et de surcroît. — Au fond de toutes les combinaisons politiques que l’on fait et que, pendant dix ans, l’on va faire, gît un chiffre faux, d’une fausseté monstrueuse. Arbitrairement, et sans y avoir regardé, on attribue au métal humain qu’on emploie tel poids et telle résistance. Il se trouve à l’épreuve que le métal a dix fois moins de résistance et vingt fois plus de poids.

V

À défaut du grand nombre qui se dérobe, c’est le petit nombre qui fait le service et prend le pouvoir. Par la démission de la majorité, la minorité devient souveraine, et la besogne publique, désertée par la multitude indécise, inerte, absente, échoit au groupe résolu, agis-

  1. Sauzay, I, 147, 192.