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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


n’ont point ce sentiment du danger social qui fait le chef véritable et qui subordonne les émotions de la pitié nerveuse aux exigences du devoir public. Ils ne savent pas qu’il vaut mieux faire tuer cent citoyens honnêtes que leur laisser pendre un coupable non jugé. Entre leurs mains, la répression n’a ni promptitude, ni raideur, ni constance. Ils restent à l’hôtel de ville ce qu’ils étaient avant d’y entrer, des légistes et des scribes, féconds en proclamations, en rapports, en correspondances. C’est là tout leur rôle, et, si quelqu’un d’entre eux, plus énergique, veut en sortir, les prises lui manquent sur cette commune que, d’après la Constitution, il doit conduire, et sur cette force armée qu’on lui confie pour faire observer la loi.

En effet, pour qu’une autorité soit respectée, il ne faut pas qu’elle naisse sur place et sous la main des subordonnés. Lorsque ceux qui la font sont précisément ceux qui la subissent, elle perd son prestige avec son indépendance ; car, en la subissant, ils se souviennent qu’ils l’ont faite. Tout à l’heure, un tel, candidat, sollicitait leurs suffrages ; à présent, magistrat, il leur donne des ordres, et cette transformation si brusque est leur œuvre. Difficilement ils passeront du rôle d’électeurs souverains à celui d’administrés dociles ; difficilement ils reconnaîtront leur commandant dans leur créature. Tout au rebours, ils n’accepteront son ascendant que sous bénéfice d’inventaire, et se réserveront en fait les pouvoirs qu’ils lui ont délégués en droit. « Nous l’avons nommé, c’est pour qu’il fasse nos volon-