que les prêtres vont rejoindre l’ennemi, s’enrôler, et les gens du pays, se jetant dans leurs barques, entourent les navires. Il faut que les prêtres descendent, sous une tempête « de hurlements, de blasphèmes, d’injures et de mauvais traitements » ; l’un d’eux, vieillard à cheveux blancs, étant tombé dans la vase, les cris et les huées redoublent ; tant mieux s’il se noie : c’en sera un de moins. Débarqués, on les jette tous en prison, sur la pierre nue, sans paille, sans pain, et l’on écrit à Paris pour savoir ce qu’il faut faire de tant de soutanes. — Cependant le troisième navire, manquant de vivres, a envoyé deux prêtres à Quillebœuf et Pont-Audemer pour faire cuire douze cents livres de pain ; signalés par des milices de village, ils sont pourchassés comme des bêtes fauves, passent la nuit dans un bois, reviennent à grand peine et les mains vides. — Signalé lui-même, le navire est assiégé. « Dans toutes les municipalités riveraines, le tambour roule sans discontinuer, pour engager les populations à se tenir sur leurs gardes. L’apparition d’un corsaire d’Alger ou de Tripoli aurait causé moins de rumeur sur les côtes de l’Adriatique. Un marin du bâtiment a publié que les malles des déportés sont pleines d’armes de toute espèce », et le peuple des campagnes s’imagine à tout instant qu’ils vont foudre sur lui, le sabre et le pistolet au poing. — Pendant plusieurs longues journées, le convoi affamé reste au milieu du fleuve en panne et gardé à vue. Des barques chargées de volontaires et de paysans tournent alentour, avec des injures et des menaces ; dans les
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LA RÉVOLUTION