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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


Deux aiguillons poussent le paysan. — D’une part, les bruits d’armes et les annonces multipliées d’une invasion prochaine l’ont effarouché. Les clubs et les journaux depuis la déclaration de Pilnitz, les orateurs de l’Assemblée législative depuis quatre mois, le tiennent en alarmes par leurs coups de trompette, et il pousse ses bœufs dans le sillon, en criant à l’un : « Hue la Prusse », à l’autre : « Va donc, Autriche ». Autriche et Prusse, rois et nobles étrangers, joints aux nobles émigrés, vont entrer de force, rétablir la gabelle, les aides, les droits féodaux, les dîmes, reprendre les biens nationaux déjà vendus et revendus, avec l’aide des gentilshommes qui ne sont point partis ou qui sont rentrés, avec la complicité des prêtres insermentés qui déclarent la vente sacrilège et ne veulent pas absoudre les acquéreurs. — D’autre part, la semaine pascale approche, et, depuis un an, la conscience des acquéreurs s’est beaucoup chargée. Au 24 mars 1791, on n’avait encore vendu que pour 180 millions de biens nationaux ; mais, l’Assemblée ayant prorogé l’époque du payement et facilité la revente au détail, la tentation s’est trouvée trop forte pour le paysan ; tous les magots sont sortis du bas de laine ou du pot enfoui. Il a acheté en sept mois pour 1346 millions[1], et possède enfin, en

    ni ordre, ni autorités. » — Mercure de France, 7 avril 1792. « Plus de vingt départements participent maintenant aux horreurs de l’anarchie et d’une insurrection plus ou moins dévastatrice. »

  1. Moniteur, XII, 30. Discours de M. Cailhasson. Le total des biens vendus au 1er  novembre 1791 est de 1526 millions ; il n’en reste plus à vendre que pour 669 millions.