Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 4, 1910.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
221
LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


gâtées, et le pain de munition, qui était mauvais, est devenu pire. L’administration, vermoulue d’abus anciens, est détraquée par le désordre nouveau, et les soldats pâtissent de sa dissolution comme de ses gaspillages. — Ils se croient volés, ils se plaignent, d’abord avec modération, et l’on fait droit à leurs réclamations fondées. Bientôt ils exigent des comptes, et on leur en rend. À Strasbourg, vérification faite devant Kellermann et un commissaire de l’Assemblée nationale, il est prouvé qu’on ne leur a pas fait tort d’un sou ; néanmoins on les gratifie de six francs par tête, et ils crient qu’ils sont contents, qu’ils n’ont rien à redemander. Quelques mois après, nouvelles plaintes, nouvelle vérification : un porte-étendard, accusé de malversation et qu’ils voulaient pendre, est jugé en leur présence ; toute sa comptabilité est nette ; nul d’entre eux ne peut articuler contre lui un grief prouvé, et, cette fois encore, ils se taisent. D’autres fois, après avoir entendu pendant plusieurs heures la lecture des registres, ils bâillent, cessent d’écouter et s’en vont dehors pour boire un coup. — Mais le chiffre de leurs réclamations, tel que l’ont arrêté leurs calculateurs de chambrée, demeure implanté dans leurs cervelles ; il y a pris racine et repousse incessamment, sans qu’aucun compte ni réfutation puisse l’extirper. Plus d’écritures ni de discours : c’est de l’argent qu’il leur faut, 11 000 livres au régiment de Beaune, 39 500 livres à celui de Forez, 44 000 à celui de Salm, 200 000 à celui de Châteauvieux, et de même aux autres. — Tant pis pour les officiers si la