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LA RÉVOLUTION


« faire la noce ». En effet, les grandes insurrections militaires des premiers temps, celles de Paris, de Versailles, de Besançon, de Strasbourg, ont commencé ou fini par des kermesses. — Sur ce fond de convoitises grossières, des ambitions légitimes ou naturelles ont germé. Depuis une vingtaine d’années, beaucoup de soldats savent lire et se croient capables d’être officiers. D’ailleurs un quart des engagés sont des jeunes gens nés avec quelque aisance, et qu’un coup de tête a jetés dans l’armée. Ils étouffent dans ce couloir étroit, bas, noir, fermé, où les privilégiés de naissance leur bouchent toute issue, et ils marcheront sur leurs chefs pour avancer. Voilà des mécontents, des raisonneurs, des harangueurs de chambrée, et tout de suite, entre ces politiques de la caserne et les politiques de la rue, l’alliance s’est faite. — Partis du même point, ils vont au même but, par la même voie, et le travail d’imagination qui a noirci le gouvernement dans l’esprit du peuple, noircit les officiers dans l’esprit des soldats.

Le trésor est à sec, il y a des arriérés dans la solde. Les villes obérées ne peuvent livrer leur quote-part de fournitures, et à Orléans, devant la détresse de la municipalité, les Suisses de Châteauvieux ont dû s’imposer une retenue d’un sou par jour et par homme pour avoir du bois en hiver[1]. Les grains sont rares, les farines

  1. Mémoire justificatif (par Grégoire) pour deux soldats, Émery et Delisle. — Bouillé, Mémoires. — Dampmartin, I, 128, 144. — Archives nationales, KK, 1105. Correspondance de M. de Thiard, 2 et 9 juillet 1790. — Moniteur, séances du 4 juin et du 3 septembre 1790.