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LA RÉVOLUTION


M. de Mauduit massacré à Port-au-Prince[1]. Tout cela, les officiers nobles le supportent. Pas une seule municipalité, même jacobine, ne trouve un prétexte pour leur imputer un refus d’obéissance. À force de tact et d’égards, ils évitent tout conflit avec les gardes nationales. Jamais ils ne provoquent, et, même provoqués, il est rare qu’ils se défendent. Des conversations imprudentes, des vivacités de langage, des mots plaisants, voilà leurs plus grandes fautes. Comme de bons chiens de garde au milieu d’un troupeau effarouché qui les foule sous ses sabots ou les perce de ses cornes, ils se laissent percer et fouler sans mordre, et ils resteraient jusqu’au bout attachés à leur poste si l’on ne venait les en chasser.

Rien n’y fait : doublement suspects comme membres d’une classe proscrite et comme chefs de la force armée, c’est contre eux que la méfiance publique allume le plus d’explosions ; d’autant plus que l’instrument qu’ils manient est singulièrement explosible. Recrutée par des engagements volontaires, « dans un peuple ardent, turbulent et un peu débauché », l’armée se compose « de ce qu’il y a de plus ardent, de plus turbulent et de plus débauché dans la nation[2] ».

  1. Ce dernier, notamment, est mort avec une douceur héroïque. — (Mercure de France, 18 juin 1791. Séance du 9 juin, discours de deux officiers du régiment de Port-au-Prince, l’un témoin oculaire.)
  2. Dampmartin, II, 214. La désertion est énorme, même en temps ordinaire, et fournit aux armées étrangères « le quart de leur effectif ». — Vers la fin de 1789, Dubois de Crancé, ancien mousquetaire et l’un des futurs montagnards, disait à l’Assemblée