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LA RÉVOLUTION


toute l’importance de leur office, et, pendant deux ans, ils persistent à le remplir avec une modération, une douceur, une patience extraordinaires, non seulement au péril de leur vie, mais à travers des humiliations énormes et multipliées, par le sacrifice de leur autorité et de leur amour-propre, par la soumission de leur volonté capable à la dictature incapable des nouveaux maîtres qui leur sont infligés. Il est dur à un officier noble d’obéir aux réquisitions d’une municipalité bourgeoise et improvisée[1], de subordonner sa compétence, son courage et sa prudence aux maladresses et aux alarmes de cinq ou six procureurs novices, effarés et timides, de mettre son initiative et son énergie au service de leur présomption, de leur indécision et de leur faiblesse, même quand leurs ordres ou refus d’ordres sont manifestement absurdes et malfaisants, même quand ils sont contraires aux instructions antérieures de son général et de son ministre, même quand ils aboutissent au pillage d’un marché, à l’incendie d’un château, à l’assassinat d’un innocent, même quand ils lui imposent l’obligation d’assister au crime, l’épée au fourreau et les bras croisés[2]. Il est dur à un officier

  1. Correspondances de MM. de Thiard, de Caraman, de Miran, de Bercheny, etc., citées ci-dessus, passim. — Correspondance de M. de Thiard, 5 mai 1790 : « La ville de Vannes a un style autoratif qui commence à me déplaire : elle veut que le roi lui fournisse des baguettes de tambour ; la première bûche le ferait avec plus de promptitude et de facilité. »
  2. Archives nationales, F7, 3248, 16 mars 1791. À Douai. Nicolon, marchand de blé, est pendu, parce que la municipalité n’a pas osé proclamer la loi martiale. Le commandant, M. de Lanoue,