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LA RÉVOLUTION


« viers et quelquefois des pierres : une pierre casse un carreau de vitre ; lui aussitôt de prendre la pierre, de la montrer à la multitude, et, en même temps, de la poser tranquillement sur le bord de la fenêtre, en signe de modération. » Des vociférations éclatent ; ses amis le font rentrer et il faut que le maire Bailly vienne en personne pour apaiser les agresseurs. — En effet ceux-ci ont de justes motifs de haine. Le gentilhomme qu’ils lapident est un bon vivant, gros et gras, qui soupe volontiers, amplement, savamment, et là-dessus la populace se l’est figuré comme un monstre, bien pis comme un ogre. À l’endroit de ces nobles dont le plus grand tort est d’être trop policés et trop mondains, l’imagination surexcitée reforge des contes de nourrice. Logé rue Richelieu, M. de Montlosier se voyait suivi des yeux lorsqu’il allait à l’Assemblée nationale. Une femme surtout, de trente à trente-deux ans, et vendant de la viande à un étal, passage Saint-Guillaume, « le regardait avec une attention particulière. Dès qu’elle le voyait arriver, elle prenait un large et long couteau qu’elle aiguisait devant lui, en lui lançant des regards furieux ». Il interroge sa maîtresse d’hôtel ; deux enfants du quartier ont disparu, enlevés par des bohémiens, et c’est maintenant un bruit répandu que M. de Montlosier, le vicomte de Mirabeau, d’autres députés du côté droit « se rassemblent pour faire des orgies dans lesquelles ils mangent de petits enfants ». En cet état de l’opinion, il n’est pas un crime qu’on ne leur impute, pas un outrage qu’on ne leur prodigue.